Entreprise hybride : contexte et stratégie

Par Philippe BLOT-LEFEVRE, Conférencier et coach du SENS EN ACTIONS

Qu’est-ce que l’hybride dans l’entreprise ? L’entreprise peut-elle être elle-même hybride ? Ces questions au sein du CODIR ne sauraient se limiter au télétravail et aux énergies consommées. Je vous propose d’élargir le champ visuel.

L’hybride doit être parfaitement compris (étymologiquement : pris avec) par tous parce qu’il ne s’applique pas de la même manière aux différents métiers. Il sauvera même ceux dont la raison d’être aura été éclaircie par chacun.

D’Oberkampf fondant en 1770 le premier bâtiment industriel de tous les temps, dans la Vallée de Jouy-en-Josas, au fondateur de Patagonia, Yvon Chouinard dont la fortune personnelle atteint 1,8 milliards de dollars, l’hybride est présent à 100%. L’observateur saint d’esprit s’étonnera au passage de l’incompatibilité de leurs professions industrielles avec le télétravail. De quel hasard est-ce l’effet : Oberkampf et Chouinard sont tous deux alpins, l’un en Suisse et l’autre en Savoie. Pour le reste, seule la temporalité les sépare pour deux résultats comparables. Oberkampf vivait en un temps où la nature était centrale, où la beauté était essentielle à la créativité, où l’inspiration des « Temps Modernes » tournés avec Charlie Chaplin n’avait pas encore dévié la nature en séparant la tâche du métier1; au lieu de les distinguer l’un de l’autre pour les rendre efficaces matériellement et socialement2. Avec Patagonia, Chouinard observe la nature et l’imite dans son organisation ; une sorte de retour aux sources dont la démonstration de l’efficacité sur les plans matériels et social déjà cités, est parfaite et généreuse. De fait, pour la Toile de Jouy comme pour les anoraks Patagonia, on teint le tissu dans le respect de la rivière, on travaille à l’appui de services sociaux intégrés pour libérer les agendas sans nuire à la production, on co-élabore, on s’implique dans des opérations aujourd’hui dites humanitaires sans empiéter sur l’intimité familiale ; le tout dans un consentement personnel épuré d’ego et de compromissions3.

Pour l’un comme pour l’autre, la vie est hybride, sans opposition des phases professionnelles et personnelles qui sont simplement complémentaires l’une de l’autre dans une seule vie. A chacun de comprendre cependant que l’une et l’autre ne requièrent pas la même posture individuelle. Que ne l’enseigne-t-on aux enfants dès le primaire !

L’hybridation s’inspire de l’intelligence innée de la nature.

Du latin hybrida, l’hybride se dit de plantes ou d’animaux qui résultent du croisement de deux lignées parentales génétiquement différentes. C’est donc un phénomène de (pro)création, inhérent au vivant ; un moyen intuitif de créer ensemble, d’entreprendre dans un mouvement de symbiose.

Ces dernières décennies, l’usage managérial était de recruter les collaborateurs pour leurs compétences, appréciées à l’aune d’un diplôme et de la reconnaissance du clan correspondant. Preuve est faite que la compétence s’acquiert par les études et de l’expérience. Une approche disruptive et inspirée de la valeur de l’hybride, consiste à orienter le recrutement sur l’état d’esprit de l’individu, sa valeur innée et fondatrice du comportement attendu pour co-élaborer ; ce qu’aucun diplôme ne peut garantir et dont la carence est dommageable pour tous, à commencer par le groupe.

La nature « est ». La nature ne connait ni l’arrogance ni la force ; fût-elle virus. Elle s’accorde à son essence qui est d’être. Elle ne cherche pas la performance ; elle dure. Elle ne juge pas ni n’hésite, elle néglige l’inutile ponctuel au profit de la cohérence. Elle crée le chaos pour y distinguer ce qui le compose et lui permettre de se repositionner. Elle donne ses chances sans modifier sa loi intrinsèque : la survie. Cette Loi est constante et solide pour que se développe la confiance salvatrice. Dame Nature est donc belle. La beauté, c’est ce qui ne déçoit jamais ni personne. Elle est l’assurance d’une harmonie parfaite entre tous les règnes ; le minéral, le végétal, l’animal, l’humain, l’énergie, l’esprit et le temps. C’est pour cette garantie d’harmonie que #labeautesauveralemonde 4.

Toutes les mythologies nous apprennent que la nature part du chaos pour aboutir à la beauté. En effet et à la différence du gâchis, le chaos respecte les spécificités et l’intégrité de chacun de ses composants. La première vertu à respecter dans nos schémas d’hybridation sera donc la beauté.

Le CODIR se trouve devant une alternative stratégique disruptive et innovante : devenir les co-entrepreneurs d’une intention à réaliser ensemble. Choisiront-ils pour ce faire, des talents cristallisés par les diplômes d’antan, ou bien des individus intentionnés qu’animent le cœur et la qualité de l’œuvre ?

Il faut trancher entre ceux qui le comprennent et ceux qui n’en sont pas capables. Je propose, à l’appui d’une DRH ad hoc, de distinguer les individus dont la maturité permet de travailler immédiatement en mode hybride. Les autres seront formés, reclassés, coachés jusqu’à poser la question du choix. Ne sont jamais mauvaises têtes que ceux qui refusent catégoriquement de participer à l’intention partagée, à l’intention de travailler ensemble dans le respect des intérêts individuels et des intérêts partagés.

Mais avant, le mot -magique- c’est: CLARIFIER.

Clarifier le vocabulaire utile, le rôle de chacun, la valeur nécessaire, l’intention finale, les moyens individuels et collectifs nécessaires et suffisants.

Quelqu’en soient la nature, de temps ou d’argent, les bénéfices sont partagés entre tous, dans la transparence et l’équité. Un dérapage sur la confiance anéantit tout, sans rémission. La sanction vient alors, naturellement, avec un nouveau chaos et, forcément, un nouvel ailleurs; avec d’autres !

Du chaos à la beauté de l’hybride, c’est la conscience de soi qui permet à chacun de prendre sa place. Ma génération a développé la sienne à partir de l’Univers dont sont faits les hommes. J’ai expliqué le Multivers5 à mes enfants qui, à leur tour, m’entrainent sur le Métavers et sa faculté de modifier ma propre conscience. C’est en rassemblant autour de la conscience de soi que l’entreprise s’accorde la chance de durer. Aux CODIRs de ne pas se laisser surprendre.

L’hybride leur offre une opportunité de trans-formation naturelle.

Aussi de conclure à la manière de mon confrère Michael Aguilar : « le courage et le regret sont aussi douloureux l’un que l’autre, mieux vaut vivre le premier que de subir le second ».


(1) La tâche : coudre à la machine / Le métier : confectionner des vêtements de sport

(2) Rien ne concourt mieux à la qualité d’un travail et au bon moral d’un individu que sa conscience de participer à l’œuvre aboutie et utilisée.

(3) Lire le prochain ouvrage de l’auteur sur le danger de distinguer les notions de compromis et de compromission.

(4)« La beauté sauvera le monde » A. Dostoïevski

(5) Le multivers établit que notre univers figure parmi des millions d’autres, et de natures si différentes qu’ils sont intriqués dans le nôtre ; dans notre quotidien.